Aïda au Bijou, Chanson extra terrienne
Regardez- la, Aïda, entourée de ses hommes au moment du salut. Regardez-la bras tendu en signe de remerciements pour les techniciens qui l’ont escortée au son et aux lumières. Regardez son sourire radieux et celui des quatre musiciens. On pense, à ce moment là, à la chanson de Barbara. Ils peuvent être heureux et fiers ces hommes là, ceux qui l’accompagnent et offrent à ses chansons un si bel écrin instrumental. Le public les ovationne à juste titre. Car il n’est pas près d’oublier de si tôt le moment qu’il vient de vivre.
Est-elle, Aïda, un peu comme Barbara si l’on en croit ses textes, « Fille des brumes/ En somme / De la nuit et de la lune, tout comme » ? Et quand elle arrive en scène, déjà féline, flûte de champagne à la main, d’une élégance sobre dans son costume pantalon-veste et son chemisier d’un vert à faire pâmer tous les superstitieux de la scène, n’est-elle pas reine en son palais ? En sa soucoupe volante, dit-elle, à peine atterrie ? Oui, Aïda rayonne et de tout le concert ne quittera pas ce sourire de femme épanouie et conquérante.
Conquérante, ensorceleuse plutôt. Bien sûr on s’empresse de dire que la musique joue aussi de tous ses pouvoirs orphiques. D’ailleurs on perçoit très vite que tout est calculé entre elle et les quatre musiciens. Au millimètre. A la fin de chaque chanson, Aïda se tourne vers eux comme pour mieux s’assurer de leurs accords, comme pour reprendre une respiration, dos au public, puis repartir virevoltante, face à lui. On aime ce mouvement qui se répète, ce rituel.
Guitare électrique, alto, contrebasse et batterie, quelques subtiles intrusions de la trompette, sont à l’unisson de cette présence quasi enchanteresse. Délivrée de tout instrument Aïda donne la mesure de son talent d’interprète. « Je m’étais endormie / Mais voilà je m’éveille / Pour une vie d’ange heureuse / Suivre son ressenti... » Sa voix singulière, son corps qui chaloupe, qui danse et mime ses émotions, ses mots, sont autant de philtres magiques. Tantôt l’un vous attrape, tantôt l’autre, tantôt tout à la fois... On vous défie d’y échapper !
Dans ce concert, Aïda rend un hommage vibrant aux mots. Aux bruits des mots. C’est d’ailleurs avec eux, avec sa chanson Poésie du dimanche qu’elle commence : « Où vont les mots tus, les mots tus / Ils résistent, dansent... » Très vite on comprend qu’il ne nous sera pas possible de saisir, l’instant d’une chanson, toute la quintessence du message... Aussi, souvent, on avouera se laisser aller à la musique et à sa seule présence, en attendant de revenir plus tard à l’album.
Les textes de ses chansons- les siens comme ceux d’Etienne Roumanet – sont autant de rappels de la puissance de l’amour, du désir surtout. Aïda sait, comme personne, en donner l’image, la chair... Il suffit parfois d’un parfum et alors, inutile de résister, « La solitude vacille ». On sait pourtant le prix qu’il va en coûter et toutes ces guerres qu’il faut mener et leurs inévitables corollaires, les amours déchues. « De désamours en petites
morts »... Les textes évoquent nos vies de terriens égarés « En agonie de vous, et de rien... Je vais seul face à la lune / Jusqu’au bout de mon infortune... » La chanson fétiche de ce concert, comme de l’album Extra Terrienne, ne demeure-t-elle pas incontestablement Je suis morte, et cette question, ce refrain : « Comment mourir sur cette terre / Encore un luxe supplémentaire » ?
Mais Aïda est aussi remarquable comédienne. Elle nous offre des pauses, des haltes que l’on savoure. Toujours penchée sur le pouvoir des mots, elle raconte des anecdotes empruntées à sa vie d’enfant bilingue. Se détache alors le personnage de sa mère espagnole qu’elle fait vivre, accent et gestuel compris, pour notre plus grande joie. Moments absolument jubilatoires entre deux chansons.
Terminons avec ces mots qu’elle nous livre, faussement légère, à l’occasion de l’une de ces anecdotes : « En espagnol l’amor [la mort] c’est l’amour ! » Le public applaudit, conquis. Se souvient-il alors que, depuis la nuit des temps, Eros et Thanatos sont de connivence ?
Mais voilà qu’Aïda se rit de ces deux langues qui lui donnent un amour bicéphale des mots. C’est pourquoi elle les incarne, du corps et de la voix qui s’échappe parfois en mélopées ; elle les danse aussi souvent qu’elle les chante.
C’est pourquoi il faut absolument aller la voir en concert. Pour cet amour là... For her « Dreaming words ». Claude FEVRE